Zéphyr & Borée : le transport maritime bas carbone des temps modernes pour transporter des fusées !
Entretien avec Nils Joyeux, co-fondateur et CEO de Zéphyr & Borée
Bonjour Nils, pourriez-vous vous présenter et nous dire comment est né Zéphyr & Borée ?
Bonjour, je m’appelle Nils Joyeux, je suis officier de marine marchande, et j’ai notamment navigué en tant que lieutenant et officier mécanicien avant de co-fonder Zéphyr & Borée.
Lorsque j’ai fait ma formation, elle se faisait en trois temps : on validait d’abord un diplôme d’officier et on naviguait ensuite environ trois ans. Enfin, on revenait à l’école pour finir la cinquième année d’étude. Dans le cadre de cette dernière année à l’ENSM (École Nationale Supérieure Maritime), nous devions notamment présenter un mémoire de fin d’étude.
Ça faisait déjà un petit moment qu’avec un bon copain, nous avions l’idée d’acheter un bateau d’occasion, de changer le moteur pour en faire une embarcation plus écologique mais cela restait du domaine du projet. A mon retour à l’école et dans le cadre de ce projet de fin d’étude, j’ai donc décidé d’étudier la faisabilité de refaire un cargo école comme il en existait il y a 40 ans, avec par exemple le réarmement de l’Alidade en 1984. Notre postulat de départ pour exploiter ces cargos écoles était qu’ils devaient être rentables pour avoir un fonctionnement pérenne. Notre objectif était également de faire des bateaux bas carbone.
J’ai commencé le projet avec mon associé Victor DEPOERS. Il était du Nord et moi de Brest. On aimait bien les noms issus de la mythologie. Zéphyr est le dieu du vent de l’Ouest et Borée celui du vent du Nord : l’aventure de la compagnie maritime Zéphyr & Borée commençait !!
“cette multitude de recherches et d’expérimentations […] nous a permis de conclure que le meilleur moyen de réduire les émissions de CO2 d’un bateau est d’utiliser le vent. C’était un choix pragmatique !”
Vous indiquez que l’utilisation du vent dans le transport maritime est le meilleur moyen de réduire les émissions carbone dans ce domaine. Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion ? Quelles solutions techniques allez vous mettre en oeuvre ?
Nous avons commencé en 2014 sans avoir de conviction à priori sur la meilleure solution de propulsion possible et nous avons étudié pendant l’année tous les moyens décarbonés existant. Pour commencer avec les batteries, on s’est aperçu que ce mode de stockage d’énergie était compliqué. Même si aujourd’hui, il existe quelques bateaux ayant de gros parcs batteries, ces systèmes fonctionnent globalement sur des petites distances et pour des navires de petites tailles.
Ensuite, nous avons regardé la propulsion hydrogène. En cinq ans, les choses ont pas mal évolué, mais la production hydrogène n’est pas encore tout à fait mature technologiquement et juridiquement, cela reste encore un moyen très onéreux. Nous avons aussi étudié la propulsion solaire et enfin la propulsion éolienne. Le fait d’être parti sur la propulsion éolienne pour notre projet de navire vient donc de cette multitude de recherches et d’expérimentations qui nous ont permis de conclure que le meilleur moyen de réduire les émissions de CO2 d’un bateau est d’utiliser le vent. C’était un choix pragmatique !
A partir de là, nous sommes parti du constat qu’il y avait déjà des acteurs sur le marché, principalement en France et en Hollande. Le point commun de ces projets était de refaire du transport maritime mais avec des voiliers classiques. Du fait de cette configuration et de leurs petites tailles, les coûts induits sont très élevés. Ce type de transport fonctionne généralement sur des marchés de niche avec des marchandises à forte valeur ajoutée où l’on peut faire accepter au client un prix de transport de 4 à 7 euros par produit. En comparaison, le prix moyen communément toléré actuellement sur un produit est plutôt de l’ordre de 10 à 20 centimes d’euros.
Nous nous sommes donc intéressé à trouver une manière plus industrielle d’utiliser le vent comme moyen propulsif pour les navires. Nous avons là encore fait un petit benchmark de ce qui existait, notamment les rotors Flettner (utilisation d’un cylindre vertical en rotation forcée permettant de créer une propulsion perpendiculaire à l’axe du vent lorsqu’il souffle suffisamment fort), les turbovoiles (système dérivé de ce même principe et développé par le Commandant Cousteau), les kytes de traction, les ailes souples affalables et puis on est venu au fil de l’eau à rencontrer Marc Van Peteghem du cabinet d’architecture navale VPLP qui commençait à développer les Oceanwings.
Il s’agit d’ailes rigides verticales adaptées à la marine marchande. On a finalement opté pour ces ailes car elles sont selon nous le moyen technique le plus efficace pour notre usage. Ce qui nous a également convaincu, c’est que VPLP avait la même vision que nous : si on veut utiliser le vent de manière industrielle et à grande échelle, il faut créer un moteur éolien avec ce que ça suppose de simple, d’automatisé et de performant. Le système doit fonctionner et se régler de manière autonome, sans nécessiter de marins spécialisés. On voulait surtout éviter de naviguer à l’ancienne avec des équipiers qui doivent monter dans la mâture et des câbles partout.
“Je suis d’ailleurs très fier de pouvoir annoncer aujourd’hui que nous venons de signer un contrat de fret avec ArianeGroup pour le transport d’Ariane 6 et cela renforce plus que jamais notre conviction dans ce modèle de transport maritime !”
Quelle est votre stratégie de mixte énergétique pour la propulsion de vos navires ?
Notre objectif est de proposer à nos clients un niveau de performance quasiment équivalent à celui d’un navire à moteur classique. Cela nécessite donc d’avoir un navire à propulsion mixte. Les voiles sont là pour réduire la consommation du bateau quand c’est possible, mais le moyen de propulsion principal du bateau reste le moteur. On doit en effet garantir la même ponctualité et la même vitesse de transit que les autres parce que c’est cette capacité à générer du trafic qui permet d’avoir un prix de transport compétitif dans le marché actuel. Si on ralentit le bateau, on économise bien sûr du carburant mais en réalité on a fait moins de route et à la fin de l’année on a fait moins de voyages, on a transporté moins de marchandises. Et donc si on veut gagner la même somme d’argent en allant moins vite, on est contraint d’augmenter le prix de transport. Ce que je veux dire par là, c’est que penser qu’on va transporter pour moins cher si on va à 5 noeuds avec un cargo à voile, c’est faux, le nombre de voyages effectués est crucial.
C’est pour cette raison que nous faisons le pari d’avoir une propulsion mixte et de garantir à nos clients une vitesse de propulsion classique à environ 15 à 16 noeuds. Je suis d’ailleurs très fier de pouvoir annoncer aujourd’hui que nous venons de signer un contrat de fret avec ArianeGroup. En partenariat avec Jifmar Offshore Service et VPLP design, nous avons développé pour les besoins d’ArianeGroup un cargo de 121 mètres dédié au transport du futur lanceur Ariane 6 depuis le continent européen vers la Guyane. Baptisé Canopée, le navire que nous avons conçu répond à un cahier des charges particulièrement complexe compte tenu des exigences techniques dictées par le transport du lanceur Ariane 6 ainsi que des contraintes nautiques liées à l’accès au port de Pariacabo en Guyane. Cela renforce plus que jamais notre conviction dans ce modèle de transport maritime !
Avec ce mixte énergétique pour notre propulsion, nous aurons donc un vent de face relatif lié à la vitesse du bateau qui sera de 15 noeuds en permanence. Ensuite, n’importe quel vent vrai peut être ajouté en fonction des conditions météorologiques, le vent apparent qui sera la somme des deux sera forcément de travers ou proche de la trajectoire du bateau et nous naviguerons donc presque toujours au près. Ainsi, le système le plus adapté pour notre cadre de propulsion mixte est celui qui fonctionne bien avec une trajectoire de bateau proche de l’axe du vent. Les ailes rigides permettent justement de générer de la portance très tôt avec une incidence par rapport au vent très faible, d’où des polaires très performantes au près. Nous avons donc opté aujourd’hui pour les ailes rigides car on est partenaire depuis longtemps avec VPLP et parce que nous sommes convaincus par cette solution pour notre configuration.
Le troisième élément en faveur des Oceanwings de VPLP est le niveau de réalisme de la solution sur le plan industriel. Le cabinet s’est adossé au groupe CNIM, un important acteur industriel ayant la capacité de produire et de garantir la fiabilité d’une telle solution technique.
Nous prévoyons donc d’avoir des ailes comparables à celle qu’utilisent Energy Observer en terme de configuration. En terme de dimensionnement, nous prévoyons une surface totale de 300m2 environ.
Cela étant dit, nous ne nous interdisons en aucun cas d’ajouter toute autre nouvelle solution vélique à l’avenir si cela fait du sens dans notre fonctionnement et notre optimisation de mixte énergétique.
“Nous avons retenu une propulsion mécanique mixte avec des moteurs dual fuel ayant des capacités pour du diesel et du LNG”
Et pour la partie thermique de votre propulsion, qu’avez-vous choisi ?
Nous avons retenu une propulsion mécanique mixte avec des moteurs dual fuel ayant des capacités pour du diesel et du LNG (Liquified Natural Gas, en français, GNL: Gaz Naturel Liquéfié). On ne peut pas partir sur du full LNG dans la mesure où il n’est pas encore possible de souter partout ce carburant avec la ligne de fret que nous avons prévu de faire. D’autre part, nous n’aurons pas assez de place dans le bateau pour ne souter que du LNG.
Il n’a jamais été question d’avoir du fioul à bord en tous cas, ce carburant est trop polluant pour pouvoir s’inscrire dans la logique de notre démarche et on sait bien de toute manière que la prochaine réglementation de l’OMI (Organisation Martime Internationale) en 2023 ou 2025 va enterrer définitivement le fioul lourd. Je pense que ce carburant est actuellement un calcul pour les bateaux déjà construits qui ont décidé de mettre des scrubbers (systèmes permettant au navire de rejeter les particules émises dans l’eau et non dans l’air, ce qui restera un problème puisque cela reviendra à contaminer davantage l’eau sous prétexte de protéger l’air…). En revanche sur les nouvelles constructions neuves, je pense que c’est un mauvais pari.
Nous réfléchissons beaucoup à l’hydrogène, mais je ne peux pas en dire plus car la technologie n’est pas encore suffisamment aboutie à l’échelle industrielle pour être intégrée à ce stade. En revanche, nous avons l’intention de suivre son évolution car notre ambition est d’être l’armateur qui proposera en permanence le meilleur mixte énergétique possible.
En effet, on ne s’arrête pas à la voile et si demain la meilleure solution est d’utiliser de l’hydrogène et du solaire, on le fera. La mission qu’on se donne, c’est d’aller vers la décarbonisation complète du shipping et c’est de faire des bateaux toujours plus optimisés. Ça parait peut-être ambitieux mais c’est l’objectif qu’on se fixe.
“La construction [du navire] va commencer début 2020 avec un début d’exploitation prévu en 2022.”
Quelles sont les prochaines étapes et vos principaux défis ?
Le financement est bouclé pour le bateau. Sa construction va commencer début 2020 avec un début d’exploitation prévu en 2022.
Le vrai défi sur lequel on investit beaucoup d’énergie et de temps avec Amaury (COO de Zéphyr & Borée), c’est désormais d’avoir les engagements des clients. A la différence d’une grosse compagnie de transport maritime, notre accès au financement des banques est limité à notre stade de développement. Il nous faut donc définir des routes maritimes avec des flux qui fonctionnent et qui sont optimisés dès le début. Pour se faire, nous nous positionnons sur des marchés de niche, avec des partenaires clients très forts, qui ont des besoins de transport suffisamment importants pour garantir à eux seuls une bonne part du chargement du bateau. Le partenariat avec ArianeGroup est l’idéal dans la mesure où ils ont besoin d’un bateau dédié et ils s’engagent sur du long terme. Un autre exemple pourrait être des constructeurs automobiles ou d’importants acteurs industriels. Les forwarders sont aussi une autre possibilité pour pouvoir massifier les flux.
“L’énergie du vent fait définitivement partie de l’avenir du shipping”
Le mot de la fin 😉 ?
Le point que j’essaie de faire passer, c’est que l’énergie du vent fait définitivement partie de l’avenir du shipping. Même si les mentalités commencent à changer, il y a encore quatre, cinq ans l’énergie éolienne pour la propulsion était considérée comme des sujets de “Beatnik”. En réalité, si on veut arriver à réduire de manière significative les émissions de CO2 dans le transport maritime, il va falloir utiliser le vent, que ce soit avec des ailes, des kytes ou tout système qui sera pertinent. Pour le moment, la solution la plus immédiate et la plus efficace pour le faire, c’est la voile.
Enfin, si on veut préserver la planète et notre environnement, la première chose à faire c’est déjà de réduire le transport maritime tout court. C’était un positionnement délicat bien sûr dans ma situation, mais ce que j’aimerais, c’est effectivement que le nombre de cargos soit divisé par cinq avec des consommateurs qui achètent des produits locaux quand c’est pertinent. Et pour le cinquième restant qui sera transporté par voie maritime, l’enjeu est de le faire avec le moins d’empreinte carbone possible. Zéphyr & Borée est très bien placé et efficace pour le faire !