Airseas : le transport maritime avec des ailes de kite grâce au savoir-faire de l’aéronautique

Airseas : le transport maritime avec des ailes de kite grâce au savoir-faire de l’aéronautique

10 April 2020 0 By Romain Grandsart

Entretien avec Luc Reinhard, Business Development et Marketing de Airseas

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Luc Reinhard, il y a un an et demi j’ai rejoint Airseas avec un passé de commercial.
En plus de la casquette de business développeur, j’ai eu en charge le marketing, les aspects commerciaux et la communication. Quand je suis arrivé dans la structure, nous étions une quinzaine. Aujourd’hui l’équipe commence à s’étoffer avec près d’une quarantaine d’employés. Mon rôle principal est de répondre aux demandes extérieures, de mettre en place les activités liées à la prospection, à la communication de l’entreprise et à la réalisation des visuels.

« Transférer le savoir-faire de l’aéronautique […] au transport maritime. »

Quelle est l’histoire d’Airseas ?

Airseas, c’est une entreprise qui a été créée en 2016, fondée par d’anciens ingénieurs d’Airbus et notamment par notre PDG actuel, Vincent Bernatets. Il était ingénieur chez Airbus, son ambition était de transmettre le savoir-faire de l’aéronautique dans d’autres domaines. Ces savoir-faire regroupent la modélisation, le contrôle de vol et l’aérodynamique. Vincent a un attrait particulier pour les océans, c’est un passionné de voile et la protection de l’environnement est également une part majeure de ses préoccupations. C’est pour cela qu’il s’est dirigé vers la création de l’entreprise Airseas avec ce projet de développer la technologie de Kite (aile de cerf-volant telle qu’utilisée pour le kitesurf) adaptée au transport maritime. C’est un projet soutenu dans le cadre du PIA – Programme d’Investissements d’Avenir – opéré par l’ADEME – L’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie.

Seawing : le kite comme réponse à l’enjeu environnemental du transport maritime

«  L’aile Seawing que nous sommes en train de développer fera 1000 mètres carrés et volera à 150 mètres de haut avec la possibilité d’aller chercher du vent de haute altitude.  »

De quoi s’agit-il ?

En termes d’enjeu, notre but est de réduire les émissions de CO2 et les émissions associées, tout en rendant cela intéressant économiquement. Il y aura donc une réduction de consommation de fioul ce qui donne un intérêt économique à notre projet, mais notre finalité est de s’inscrire dans une démarche axée vers l’écologie et la protection de l’environnement. Notre objectif est d’industrialiser notre innovation et d’équiper 15% de la flotte mondiale à terme.

L’intérêt de notre solution est de pouvoir équiper les navires de très grandes tailles et même les plus grandes tailles commerciales actuelles. L’aile Seawing que nous sommes en train de développer fera 1000 mètres carrés et volera à 150 mètres de haut avec la possibilité d’aller chercher du vent de haute altitude qui est plus constant et plus puissant. L’aile est prévue pour être opérée entre 8 et 40 nœuds de vent. On n’opérera pas, bien sûr, en cas de tempête ou de grêle. De base le personnel naviguant va chercher à éviter des conditions de mer défavorables et à ne pas s’engager dans les tempêtes devant eux, ce qui ne limite donc pas trop l’utilisation de notre système.

«  Notre valeur ajoutée se situe d’une part dans les contrôles de vol dynamique et d’autre part dans l’automatisation du déploiement de cette aile.  »

Comment ça marche ?

Il y a deux composantes dans notre produit : une partie hardware et une partie software. Notre valeur ajoutée se situe d’une part dans les contrôles de vol dynamique et d’autre part dans l’automatisation du déploiement de cette aile.

La partie hardware est celle qui va générer la traction : il s’agit d’une voile qui fait 1000 mètres carrés et ressemble plus à une aile de parapente qu’à une aile de kite. En dessous, il y a un pod de contrôle qui va jouer le rôle du parapentiste et manipuler notre voile de sorte qu’elle fasse des huit dans le ciel. Cela permet d’effectuer un vol dynamique et de générer plus de traction qu’une voile classique statique. Ce système est attaché au pont avant du navire avec un câble ombilical de 500 mètres de long. Celui-ci fait passer de l’information, de la puissance et résiste également à la traction développée par la voile qui peut monter jusqu’à 100 tonnes.
Ensuite il y a l’équipement de pont servant au déploiement et au rapatriement du système. Il est équipé d’un treuil, d’un mât pour déployer l’aile et d’un espace de stockage pour la protéger lorsqu’elle n’est pas en opération.
Un système de chariot permet de hisser l’aile le long du mât. Elle se gonfle ensuite jusqu’à avoir son profil et elle sera alors portée par le vent. La plateforme étant rotative, elle se mettra dans la direction la plus profitable du vent pour l’envol de notre aile. Une fois en opération, le vol dynamique permettra d’être un petit peu moins dépendant de la direction du vent.
Le mât installé sur le bateau sera pliable en cas de passage sous un pont.

Sur le côté software, le commandant de bord sera en passerelle avec un écran d’aide à la décision qui lui indiquera les conditions météorologiques favorables au déploiement de l’aile. Il pourra alors appuyer sur le bouton de mise en marche du système qui s’opérera de façon automatique.
Le software propose une solution d’éco-routing (éco-routage). Un système de prévision météorologique indiquera au commandant de bord les conditions les plus favorables sur sa route, tout en respectant l’heure d’arrivée prévue du navire. Cet outil maximise ainsi les performances de notre système.
Ces développements sont rendus possibles grâce à nos partenariats avec l’entreprise MaxSea, nous accompagnant sur le logiciel d’optimisation de route, et également avec LMG Marin France, aussi basé à Toulouse (filiale française du cabinet d’architecture navale norvégien LMG Marin). LMG nous aide à modéliser les navires de nos clients afin d’en obtenir un modèle digital. Celui-ci est couplé avec notre modèle digital de kite afin d’avoir un modèle combiné utilisé par notre logiciel d’optimisation de route. Ce logiciel prend donc en compte entre autres, la hauteur des vagues, leur direction, le vent, la résistance à l’avancement du navire ainsi que les interactions que le kite a sur le navire et inversement. Il assure ainsi la maximisation des performances à l’aide de ces optimisations de routage.

Comment gérez-vous le risque de dévente du kite en plein fonctionnement ?

On a plusieurs façons de le gérer. La première façon est de mettre l’aile au zénith (position statique verticale à l’utilisateur comme pour le kitesurf), c’est une position qui est atteinte très rapidement en quelques secondes, notamment si on voit que les conditions de vents se dégradent trop rapidement. On pourra donc mettre l’aile dans cette position, juste au dessus du navire. La propulsion mixte (propulsion moteur & propulsion vélique avec l’aile de kite) est intéressante pour nous dans ce cas puisqu’elle permettra au navire de continuer d’avancer. Il sera ainsi toujours en mouvement et donc créera son propre vent (vent relatif créé par le déplacement du navire, comme lorsque l’on fait du vélo). Ce vent apparent rendra cette position zénithale très stable pour notre aile. Notre système de contrôle prend ces paramètres là en compte.

L’intérêt de notre software est aussi d’avoir un jumeau numérique, en anglais “digital twin”. Nous avons donc notre système réel, en matière, et puis un jumeau digital, c’est-à-dire des lignes de codes, qui interagit avec le modèle physique réel. Cette combinaison est particulièrement utile par exemple lorsqu’il y a des soucis de dévente ou des bourrasques de vent qui arrivent de côté. Le système regarde l’influence que cela a sur notre modèle digital, il prévoit la direction que l’aile va prendre et ajuste en conséquence le modèle physique réel. Un peu comme dans les avions avec le pilotage automatique, on a ce dialogue permanent, cette mise à jour, qui se compte en millisecondes, du système réel en comparatif avec notre jumeau digital. Celui-ci est alimenté en données grâce à une série de capteurs positionnés sur l’aile, sur le pod de contrôle et également au niveau du pont.

«  d’ici fin 2020, ce sera un système avec une voile de 500 mètres carrés installé sur le “Ville de Bordeaux”  »

Où en est Airseas dans son développement ?

Nos trois principaux jalons actuels sont les suivants :

Dans un premier temps avoir notre installation sur le navire d’Airbus d’ici fin 2020, ce sera un système avec une voile de 500 mètres carrés installé sur le “Ville de Bordeaux”, opéré par l’armateur Louis Dreyfus Armateurs pour du transport de pièces entre la France et les Etats-Unis.

Nous avons également signé avec l’armateur japonais KLine qui possède l’une des plus grandes flottes mondiales. Nous prévoyons une installation d’ici fin 2021 sur un de leur vraquier et cette fois-ci avec notre système de 1000 mètres carrés qui sera produit en série. Si les retours sont positifs, KLine a une option d’achat pour 50 systèmes supplémentaires.

Pour pouvoir avoir cette possibilité de production en série, nous déménagerons en région nantaise courant 2021 afin d’avoir un atelier et des bureaux plus grands. Cette relocalisation est également l’opportunité de faire partie d’un écosystème plus favorable au développement de technologies maritimes.

Le mot de la fin ?

La viabilité commerciale et économique reste la clé pour ce genre d’innovation. Nous vivons dans un monde capitaliste, même si les entreprises permettent de sauvegarder l’environnement, elles ne peuvent pas être pérennes si elles perdent de l’argent.

Comment contourner cela? Soit on profite d’un contexte où le prix du fioul est élevé. A ce moment-là les gens se tournent vers des solutions alternatives car cela leur coûte trop cher. Sinon c’est à charge des états ou des organismes internationaux de mettre en place des régulations internationales, on parle concrètement d’une taxe liée au carbone ou à n’importe quel type d’émission à mettre en place. Ce que j’ai également pu constater lors de conférences à l’étranger et de webinars, c’est que les armateurs demandent eux-mêmes aux institutions internationales de mettre ces mesures en place. Ils savent que de nombreuses technologies sont disponibles aujourd’hui mais ils ont des règles très contraignantes. C’est un marché qui est assujetti au cours des matériaux, influencé par la bourse et les investisseurs. Les entreprises sont très contraintes d’un point de vue économique et chacune de leurs dépenses significatives doivent présenter un retour sur investissement rapide. La mise en place de mesures d’incitations ou de taxes sur le fioul seraient prometteuses pour le développement des technologies à but écologique.