Energy Observer : le bateau-laboratoire des énergies du futur pour un transport maritime zéro émission

Energy Observer : le bateau-laboratoire des énergies du futur pour un transport maritime zéro émission

29 September 2019 0 By Romain Grandsart

Entretien avec Victorien Erussard, capitaine-fondateur et président d’Energy Observer

Bonjour Victorien, pourriez-vous vous présenter ?

Bonjour, je m’appelle Victorien, je suis né à Saint-Malo et suis un ancien officier de marine marchande. J’ai aussi été coureur au large pendant une dizaine d’années avec notamment des premières places ou des podiums à la Route du Rhum, à la Transat Jacques Vabre et au championnat de Class 40. Puis j’ai rejoint le projet Energy Observer en 2013 dont l’objectif était de construire un catamaran électro-éolien. C’est depuis devenu le premier navire expérimental autonome en énergie, il est propulsé grâce à une chaîne de production hydrogène complète couplée aux énergies renouvelables.

“Energy Observer est une véritable plateforme expérimentale des énergies du futur,… on teste tout et surtout… on ne s’arrête jamais !”

Quelle est la mission d’Energy Observer ?

Energy Observer est une véritable plateforme expérimentale des énergies du futur. En combinant trois sources d’énergies renouvelables (solaire, éolien, hydrolien) et deux formes de stockage (batteries et hydrogène), la mission du navire est de tester ces technologies de pointe en milieux extrêmes, pour permettre un retour d’expérience concret sur ce système énergétique intelligent.

Pour mener à bien ce projet, nous avions à coeur d’éviter de consommer trop de matières premières. On a donc essayé de travailler au maximum possible en économie circulaire, c’est-à-dire en récupérant de l’ancien et en faisant du reconditionnement et du recyclage. On a ainsi utilisé l’ancien bateau vainqueur du trophée Jules Vernes en 1994 avec Sir Peter Blake (record du tour du monde à la voile le plus rapide réalisé en équipage, sans escale et sans assistance). Ce catamaran de 30,5 m de long pour 12,80 m de large a été construit au Canada et c’était le tout premier à être fabriqué en technologie prépreg, en pré-infusé. On l’a récupéré à Lorient où on a commencé à le préparer chez Marsaudon Composite et on l’a fini à Saint Malo.

Energy Observer, c’est maintenant une quarantaine de personnes répartie entre les communicants, les navigants, la production et le bureau d’étude.Il faut vraiment considérer Energy Observer comme un laboratoire, on teste tout et surtout on ne s’arrête pas. Dès lors qu’on a testé, on valide et on essaie de chercher des nouvelles briques technologiques plus performantes. Par exemple pour nos prochaines échéances, on a prévu de retravailler sur les moteurs électriques, sur l’hydrolien, on va aussi faire de nouvelles expériences sur les batteries, et notamment remplacer la pile à combustible pour en tester une autre. On ne s’arrête jamais !

“On parle maintenant de transocéaniques avec un programme de navigation proche des 20 000 miles nautiques l’année prochaine.”

Parlons expédition : vous venez de faire l’Arctique, quelles sont vos prochaines étapes ?

On finit notre tournée européenne mi-octobre avec une escale à Londres. Elle aura durée 3 ans. On a prévu de faire un chantier technique cet hiver à Saint-Malo pour repartir dès la mi- février vers l’Ouest, c’est-à-dire l’Amérique puis l’Asie. On ne dévoile pas plus d’informations concernant nos prochaines escales pour l’instant, mais on le fera vers la fin de l’année.


On vise désormais des navigations plus longues. Nos navigations sont devenues de plus en plus importantes mais il s’agissait essentiellement de parcours côtiers. On parle maintenant de transocéaniques avec un programme de navigation proche des 20 000 miles nautiques l’année prochaine.

On vient de faire 3 000 miles en autonomie totale de Saint Pétersbourg en Russie jusqu’à Longyearbyen au Spitzberg, donc avec des conditions compliquées, souvent vent de face et avec une nébulosité importante. Cela nous donne confiance et nous montre que le système fonctionne très bien !

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”On a pu rejoindre le Spitzberg en autonomie totale aussi bien pour la propulsion que pour la vie du bord”

Energy Observer, premier navire fonctionnant aux énergies renouvelables et à l’hydrogène qui arrive au Spitzberg : votre premier exploit ?!

On s’est beaucoup documenté sur les précédentes expéditions, notamment pour mettre davantage de clarté sur les comparaisons qui peuvent être faites concernant l’utilisation des énergies renouvelables dans les navigations réalisées depuis des milliers d’années. On se rend compte en fait que depuis le 12ème siècle, depuis Marco Polo, tous les navires d’époque, ceux de commerce comme ceux d’expédition, utilisaient la houille, c’est-à-dire du charbon, pour la cuisson et pour se chauffer. Tous ces bateaux avaient entre 20 et 30 voire même jusqu’à 80 hommes d’équipage. Depuis le début du 19ème siècle, donc depuis à peu près 1820 quand il y a eu les tout premiers clippers qui étaient des bateaux mixtes, les navires étaient tous à la voile et à la vapeur. Les moteurs à vapeur fonctionnaient avec du charbon et les bateaux en avaient de grandes quantités. Lorsque l’on regarde l’expédition de Shackleton par exemple, le fameux Endurance à trois mâts qui s’est fait emprisonner par les glaces en Antarctique, il avait du charbon à bord et avait un bateau suiveur rempli également de charbon. C’est important de comprendre à quel point le charbon depuis des siècles et des siècles a été présent dans la marine à voile. Cela rend par la même notre initiative intéressante sur le plan énergétique puisqu’on a pu rejoindre le Spitzberg en autonomie totale aussi bien pour la propulsion que pour la vie du bord, pour se chauffer, manger et pour se laver.

“L’enjeu pour l’environnement est capital quand on sait que 90% du commerce mondial transite par la mer”

Quelles seront les applications de ce type d’innovation, dans le futur ?

Cela va pouvoir servir au commerce comme à la plaisance.  Pour le transport maritime, réussir à associer le photovoltaïque, les ailes pour la propulsion vélique, la propulsion électrique, l’hydrolien et l’hydrogène, pour moi, c’est clairement l’avenir. Pour le moment, la mise en place prend encore du temps, mais nous avons la conviction que c’est ce qui va être développé dans le futur.

L’enjeu pour l’environnement est capital quand on sait que 90% du commerce mondial transite par la mer et que le transport maritime est responsable d’une forte pollution de l’air en rejetant dans l’atmosphère des polluants tels que les particules fines, les oxydes d’azote et de soufre.

“Nous avons internalisé un grand nombre de compétences techniques… Au final, il n’y a pratiquement rien sur ce bateau qui ait été acheté sur étagère”

Parlons techno :

Comment faites vous pour coordonner et optimiser l’utilisation de toutes ces différentes énergies ?

Il nous a fallu développer un EMS (Electronique Managing System), un système de gestion de l’énergie. Pour ce faire, nous avons internalisé un grand nombre de compétences techniques en électricité, en électronique, en mécanique et en système hydrogène. On a également créé des partenariats industriels.

Notre vocation est vraiment d’acquérir de la connaissance et des compétences techniques pour tester un maximum de technologies et réussir à les associer de la façon la plus efficace possible. Par exemple sur les panneaux solaires, on a testé de nombreuses technologies, notamment différents types d’encapsulage (façon dont on encapsule la cellule photovoltaïque entre les deux couches extérieures du panneau solaire) et d’hétérojonction (technologie de cellule photovoltaïque permettant d’augmenter le rendement de conversion). On travaille aussi bien sûr sur l’hydrolien, sur le moteur électrique, sur les batteries, sur les rendements de la pile à combustible et de l’électrolyseur, en fait sur toute la chaîne hydrogène. Au final, il n’y a pratiquement rien sur ce bateau qui ait été acheté sur étagère.

“On a dernièrement intégrer les Oceanwings…malgré les 35 noeuds de vent établi, parfois avec des rafales à 40 noeuds, je n’ai pas eu besoin de réveiller qui que ce soit [pendant mon quart de nuit]”

Quels sont les éléments que vous utilisez sur l’éolien?

Pour le moment, on a abandonné le kite de traction principalement parce qu’on s’est rendu compte que le bateau n’était pas adapté. On a également cessé l’utilisation des éoliennes à axe vertical car la traînée induite était trop importante et le bilan était négatif. Selon moi, les éoliennes sont bien en statique, moins bien en dynamique.

On a dernièrement intégré les Oceanwings, les ailes à propulsion éoliennes développées par VPLP et la CNIM, lors de notre escale à Amsterdam. Pour des raisons de structure et de tirant d’air, on a installé une aile sur chaque coque du catamaran. Cela permet d’avoir moins de tirant d’air et également d’avoir de la redondance, dans le cas où une aile ne marcherait plus.

Après le départ de Saint Pétersbourg le 20 juin, il nous fallait affronter quatre mers pour rejoindre le Spitzberg. On a malheureusement eu quelques petits problèmes techniques en navigation en mer Baltique, ce qui était normal au début du développement, de l’intégration et de l’utilisation des ailes. Parfois il s’agissait par exemple juste d’un câble d’attaque qui n’envoyait pas les bonnes données. On avait donc une aile qui était hors service sur ce tronçon. Après pour la mer du Nord, on arrivait à la hisser de nouveau mais sans pouvoir la régler automatiquement. Puis en mer de Norvège, on avait trouvé une façon de la régler manuellement. Et enfin nous avons effectué une grosse intervention à Tromsø avec une équipe de 6 ingénieurs qui sont venus à bord et qui ont réparé tous les petits bugs, ce qui nous a permis de traverser la mer de Barents, l’Océan Glacial Arctique, avec des ailes qui fonctionnaient parfaitement bien.

Je considère ces ailes de propulsion éolienne comme une rupture technologique. On sort du cadre de la voile traditionnelle car ce sont des systèmes proches des formes des ailes d’avion. Ces ailes sont autoportées, arisables, affalables et elles sont asservies. Ce qui est intéressant également c’est l’automatisation et la simplicité d’utilisation. J’ai pu le constater en faisant près de 6000 km avec le bateau en un peu plus d’un mois et avec un équipage à bord qui n’avait jamais fait de voile. Après quelques minutes de consignes, ils étaient capables de faire un quart tout seuls. J’ai notamment fait un quart de 2h à 8h du matin dans les fjords du Svalbard, tout le reste de l’équipage dormait, et malgré les 35 noeuds de vent établi, parfois avec des rafales à 40 noeuds, je n’ai pas eu besoin de réveiller qui que ce soit. J’ai fait du louvoyage pour remonter vers Longyearbyen, j’appuyais sur un bouton, ça prenait un ris, le vent se calmait, je renvoyais la toile en appuyant sur un autre, et je virais de bord à l’aide du joystick. Cette automatisation rend ce système très utile pour le transport maritime et les navires de commerce. Tester ces ailes de propulsion éoliennes à bord d’Energy Observer devenait donc pour moi incontournable. D’autant plus que le mixte devient extrêmement intéressant lorsqu’on l’associe aux autres technologies qu’on a développées sur le photovoltaïque, l’hydrolien et l’hydrogène.

Comment fonctionne votre processus d’électrolyse pour le remplissage de vos réservoirs d’hydrogène? Quand pouvez-vous le faire et comment gérer vous les éventuels risques liés à l’hydrogène ?

L’idée est d’être autonome d’un point de vue énergétique et d’avoir un équilibre énergétique du point de vue de la production et de la consommation. Pour stocker notre énergie, on a choisi un petit parc batterie de 100 kWatts/heure car les batteries sont lourdes et la densité énergétique n’est pas très bonne. A contrario, on a 2 MWatts/heure d’hydrogène à bord qui correspond à peu près au même poids, d’où une bien meilleure densité énergétique pour l’hydrogène et le fait qu’on ait davantage misé dessus.

Maintenant quand on convertit l’énergie photovoltaïque en énergie électrique, on le stock dans les batteries directement. Cela ne sert à rien de faire de l’hydrogène puisqu’on perd en rendement. En fait, on commence à stocker l’hydrogène lorsqu’on est en surproduction. On emmagasine notre hydrogène le plus souvent quand on est à l’arrêt, à l’escale ou au mouillage, en d’autres termes quand on ne dépense pas d’énergie. C’est une circonstance qu’on a très peu en navigation car on utilise beaucoup plus d’énergie pour la propulsion et pour la vie de bord. En navigation, on peut bien sûr emmagasiner l’excédent d’énergie sous forme d’hydrogène, mais cela ne fonctionne que lorsqu’on a le vent dans de bonnes conditions et le soleil très bien orienté.

Cela dit, fabriquer l’hydrogène comme on le fait n’est pas quelque chose qu’on encourage à faire dans le futur. Notre vision est qu’il doit être à terme produit de façon industrielle à terre, avec des centrales photovoltaïques ou des éoliennes. Des stations d’approvisionnement disposées sur toutes les routes maritimes pour faire le plein des navires seraient aussi à prévoir.

En ce qui concerne la gestion du risque lié à l’utilisation de l’hydrogène, on a plus de 1 800 capteurs à bord du bateau, on enregistre des données en permanence. Le bateau est également équipé d’une ventilation naturelle et d’une ventilation forcée au niveau des réservoirs d’hydrogène. On n’a jamais eu un seul souci et on ne s’est jamais senti en danger. Je pense que le système est fiabilisé comme pourrait l’être désormais celui des voitures ou des bus à hydrogène. Les industriels ont fait beaucoup de progrès dans le stockage et les réservoirs.

Comment récupérez-vous l’énergie hydrolienne ? Avez-vous des génératrices hydroliennes spécifiques ?

Non, nous avons opté pour des moteurs électriques réversibles : soit ils consomment de l’énergie pour propulser le navire, soit ils en produisent grâce à la force du courant ou de la propulsion du navire par le vent. En théorie, les deux moteurs peuvent apporter un complément de deux fois 4kW.

“Les ailes aident ainsi la propulsion électrique et la propulsion électrique aide les ailes.”

Votre conclusion à ce stade sur le plan des optimisations technologiques pour une propulsion ?

J’ai vu énormément d’avantages à associer la propulsion électrique aux ailes. On a remarqué que si on met un tout petit peu de puissance avec le moteur électrique, par exemple avec des hélices qui tournent à 600 tours/minute, cela permet juste avec les ailes de créer un vent apparent constant, et d’éviter ainsi de stopper le bateau à chaque vague ou lorsqu’il y a une variante de vent en force ou en direction. Les ailes aident ainsi la propulsion électrique et la propulsion électrique aide les ailes. Du coup, on stabilise notre vent apparent et notre vitesse.

Comment fonctionne votre financement, quelles sont vos prochaines étapes ?

Energy Observer, c’est trois sociétés :

  • Energy Observer Odyssée avec une cinquantaine de partenaires en tout dont Accor et Engie. C’est l’Odyssée qu’on fait autour du monde pendant 6 ans avec le bateau-laboratoire.
  • Energy Observer Production : il s’agit essentiellement des films que nous faisons en collaboration avec le Groupe Canal+.
  • Energy Observer Foundation où on travaille avec le ministère de la transition écologique et solidaire. On a notamment créé une plateforme qui s’appelle Energy Observer Solutions.

Et on vient désormais de créer Energy Observer Developments : société pour laquelle nous sommes actuellement en pleine levée de fonds et dont l’objectif est de faire un bureau d’étude spécialisé dans les solutions de propulsion électrique hydrogène dans le domaine portuaire et maritime.

Et si on veut en savoir plus ?

Venez voir notre site ! http://www.energy-observer.org