VPLP : l’innovation au service de la performance et de la transformation du transport maritime.

2 December 2019 0 By Romain Grandsart

Entretien avec Marc Van Peteghem, co-fondateur du cabinet d’architecture navale VPLP


« Ces ailes Oceanwings nous permettent d’économiser entre 25 et 30% de la propulsion. »

Marc Van Peteghem bonjour et merci pour cette interview ! Pouvez-vous vous présenter et nous décrire en quelques mots l’histoire du cabinet d’architecture navale VPLP ?

Bonjour, je suis Marc Van Peteghem, architecte naval, j’ai fait la connaissance de Vincent Lauriot-Prévot, le “LP” du VPLP ;-), à l’école à Southampton. Ça fait 45 ans que nous sommes amis avant d’être associés dans cette belle aventure. On nous demande souvent quel est le bateau dont on est le plus fier, en fait je crois que c’est de VPLP qu’il s’agit avant tout. 

Nous sommes mieux connus pour les bateaux de course, les bateaux de croisière et les yachts que pour ce qu’on a pu faire dans le monde maritime mais il se trouve que pour la 33ème Coupe de l’America en 2010, nous avons dessiné le trimaran Oracle qui l’a gagnée. Sur ce bateau là, il y avait une aile géante de 68 mètres d’envergure. J’ai cinq enfants et depuis le début des années 2000 je suis extrêmement préoccupé par l’état du climat, de la planète et donc du monde que nous allons leur laisser. On se demandait donc ce qu’on pouvait faire en dehors de la sphère personnelle ou même de l’engagement sociétal. J’ai ainsi co-fondé une école de design durable à Nice qui est une école où nous pratiquons toutes les méthodes d’innovation en utilisant les outils du design pour former des jeunes afin d’inventer un futur désirable, de nouvelles prospérités, un nouveau bien-être. Mais en dehors de tous ces aspects là qui sont très importants, nous nous demandions comment techniquement nous pouvions faire quelque chose. Donc en voyant ce bateau Oracle et son aile qui a le double de la puissance d’un gréement traditionnel, nous nous sommes dit que si on était capable d’automatiser son fonctionnement, de l’affaler et de l’ariser, ce serait sans doute un bon moyen d’hybrider la propulsion des navires de commerce. 

On a réfléchi un certain temps pour avoir une bonne idée de la conception. La subvention de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) nous a permis de construire un prototype sur un bateau de 7 mètres, un petit trimaran, qui a rapidement très bien marché. On s’est ensuite rapproché de la CNIM pour faire les ailes d’Energy Observer, qui est un catamaran démonstrateur d’énergies renouvelables. Il se propulsait jusqu’à présent uniquement avec le soleil et l’hydrogène. Ce qui est actuellement un peu limite quand on veut traverser l’Atlantique et le Pacifique. Ils ont en effet un grand programme de navigation pour aller notamment jusqu’au Japon. Il fallait donc leur trouver une assistance autre. Et évidemment le vent est très pratique, il est présent partout, il est gratuit, c’est une énergie propre et ça fait plus de 5000 ans qu’on s’en sert. 
Pour le programme d’Energy Observer, nous avons fait des ailes qui sont proportionnellement petites, car le bateau n’allait raisonnablement pas être transformé en voilier. 

Ensuite fin 2017, ArianeGroup a cherché à remettre en jeu le contrat des transport des éléments de la fusée des ports Européen, Brême, Rotterdam, le Havre, Bordeaux, jusqu’à Kourou. Nous avons donc cherché à nous associer avec des armateurs pour développer un bateau pour cet objectif. Nous avons ainsi travaillé avec Zéphyr & Borée et Jifmar pour proposer un bateau exactement taillé et dessiné pour cet usage avec quatre ailes de propulsion. Ces ailes Oceanwings nous permettent d’économiser entre 25 et 30% de la propulsion. 

Dans le même mouvement et dans la mesure où nous connaissons bien le fonctionnement des bateaux à foils, nous sommes également en train d’étudier la possibilité d’utiliser les foils pour transporter les passagers. Nous travaillons donc actuellement sur des ferry rapides, jusqu’à 45 noeuds, qui vont consommer 45% de moins qu’un équivalent archimédien.


« investir dans des logiciels, embaucher des ingénieurs, avoir toujours des outils de pointe et se poser continuellement des questions »

Quelle a été selon vous la recette des succès et de la renommée de VPLP ? Qu’est-ce qui vous a permis de concevoir des bateaux toujours plus innovants et performants sur ces plus de trente années ?

Et oui, bientôt 37 😉 !! Même si ça fait un peu vieille chose, c’est vrai qu’à nos débuts l’ordinateur de l’école tenait dans une pièce et nous avions des cartes perforées. Nous faisions les plans de forme à la main et naviguions au Sextant. Nous avons connu toute cette évolution en partant de là jusqu’à aujourd’hui, et surtout l’architecte naval faisait tout. 

Aujourd’hui, nous sommes 32 au sein de VPLP. Nous avons une dizaine d’ingénieurs de très haut niveau en performance, en aéro et hydrodynamique, en structure, nous avons également des architectes navals, c’est-à-dire en gestion de projet avec une vision plus d’ensemble, et puis des designers. Donc nous avons besoin de tout cet ensemble pour réussir à dessiner des bateaux performants. Cela nous permet de traiter beaucoup de choses. Et je crois qu’une des choses qu’on a faite, et à l’époque ce n’était pas si évident que cela, c’était de toujours investir dans des logiciels, embaucher des ingénieurs, avoir toujours des outils de pointe et se poser continuellement des questions. 

Et cela, nous avons pu le faire parce qu’on avait les bateaux de course que nous dessinions bien sûr et à côté de cela des bateaux de production, des bateaux de croisière. Ces deux pôles ont fonctionné ensemble, il y avait des bascules. Pendant très longtemps, c’était la croisière qui finançait la course et puis il y a eu la crise de 2008 et ça a été l’inverse pendant un moment. C’est le fait de ne pas se spécialiser et d’être dans plusieurs domaines et d’avoir toujours cette capacité d’investissement qui nous a permis de rester au sommet de la vague !

Oceanwings : l’aile articulée comme réponse à l’enjeu du moteur éolien.


« nos voiles peuvent être poussées jusqu’à 20 degrés du vent et elles sont affalables »

Comment ça marche et pourquoi est-ce selon vous la meilleure solution pour exploiter l’énergie éolienne ?

En transférant ce que nous avons appris dans la course et en l’adaptant au maritime, nous avons pu développer des polaires 3D permettant de calculer la vitesse d’un bateau en fonction du vent et en intégrant également sa puissance principale, c’est-à-dire son moteur. Avec ces polaires 3D, nous pouvons faire des études de simulation. Nous en avons bien sûr fait avec le projet Canopée de Zéphyr & Borée et également pour d’autres armateurs avec qui nous sommes en contact. 

Ce qu’il faut réaliser c’est que le vent apparent d’un bateau, c’est-à-dire le vent qu’il reçoit, comme il navigue avec le vent mais aussi avec sa propulsion principale, est très vite proche de l’axe du bateau. L’angle du vent apparent est en fait souvent très proche de l’axe du bateau, de l’ordre de 30, 35 degrés. La puissance du dispositif de propulsion éolienne est donc importante mais il est aussi important de regarder sa finesse. C’est-à-dire sa capacité à travailler très proche du vent. Et c’est là que nous avons un avantage décisif. Nous ne sommes probablement pas les plus puissants. Un Rotor Flettner est probablement l’outil vélique le plus puissant lorsque le vent apparent vient de travers, c’est-à-dire avec un vent réel de trois quart arrière lorsque le bateau est déjà en train d’avancer avec sa propulsion principale. (Comme il avance, le vent vitesse du bateau se combine avec le vent réel, et le vent apparent vient donc en effet à peu près de travers.) Dans ce secteur là de vent, un Rotor Flettner est plus puissant que notre solution. En revanche, nos voiles peuvent être poussées jusqu’à 20 degrés du vent et lorsqu’il s’agit de travailler dans des angles de vent entre 20 et 50 degrés, ce qui représente la majorité des angles au vent rencontrés par un navire qui avance, la performance de nos ailes est meilleure. On est donc moins puissant sur un point de la courbe mais, au global, je pense que nous sommes donc meilleurs. Nos ailes sont affalables, ce qui est important lorsqu’on est dans une configuration où le vent vient de face ou lorsqu’il n’y a pas de vent du tout. Cela est également pratique dans les ports ou bien lorsqu’il y a beaucoup de vent. Et dans les cas où le vent vient de face ou quand il n’y a pas du tout de vent, nous n’avons pas la traînée d’un Rotor qui fait 5 mètres de diamètre et 30 mètres de haut, qui ne porte plus mais traîne dans ces situations. 
Il y a également les cerfs volants qui sont intéressants dans certains cas de figure, mais là aussi, lorsqu’il y a des angles au vent très pointus, je pense que ce système a un peu de mal à marcher. 
Enfin, il y a les ailes aspirées qui sont intéressantes mais jusqu’à présent, elles ne sont pas affalables. 

Il y a donc différents moyens de propulser les bateaux avec le vent et c’est très bien. La bonne nouvelle c’est qu’il y a de la place pour tout le monde. Une autre bonne nouvelle, c’est que les armateurs s’y intéressent beaucoup aussi. Au début quand on a eu cette idée, on a essayé de sonder un petit peu ce secteur et voir si ça pouvait les intéresser. Je dis cela en rigolant mais c’est vrai, à l’époque je crois qu’au mieux quand les gens étaient sympathiques, ils nous invitaient à déjeuner pour raconter nos histoires qui les faisaient marrer et au pire ils ne nous recevaient pas ou nous faisaient raccompagner par le service de sécurité lorsqu’on essayait de rentrer. C’était une belle idée mais pas du tout quelque chose qui pouvait les intéresser. D’autant plus qu’il fallait afficher des temps de retour sur investissement extrêmement courts pour que ça les intéressent. En revanche, il n’y avait pas encore les contraintes qui se dessinent maintenant pour le début de l’année prochaine sur le prix des carburants. Il faut aussi prendre en compte une taxe carbone qui flotte actuellement mais qui va finir par exister un jour. Un bateau se prévoit pour durer 20 à 25 ans, il s’agit donc d’avoir la bonne décision stratégique. 

Et puis il y a aussi quelque chose d’important : c’est la pression sociétale. Les gens vont vouloir connaître, de plus en plus je pense, le bilan carbone de la chaîne logistique qui a permis à leurs téléphones portables, à leurs chemises, à leurs chaussures d’arriver jusqu’à eux. Quand on pense que le saumon du Danemark est fileté en Chine pour être fumé encore à un autre endroit avant de revenir en Norvège pour être vendu et réexporté, on marche sur la tête. Un jour, il va y avoir cette conscience, on voit très bien que cette chaîne logistique est en train de bouger. Michelin souhaite que ses pneus soient transportés de façon plus écoresponsables, GEFCO, GEODIS, toutes ses sociétés bougent car elles sentent bien qu’il va y avoir une demande, et cela va remonter chez les armateurs pour la partie maritime de la chaîne logistique. 

Ce qui est intéressant à mon avis, c’est que ce qui est vu aujourd’hui par un armateur comme une contrainte, un surcoût, va pouvoir être vu comme un avantage marketing dans un avenir que j’espère proche. En fait on ne change que par la contrainte ou l’envie, et l’envie c’est quand même plus sympa. Et avec cette prise de conscience, décarboner le transport maritime va devenir une course vertueuse.


« Le Canopée sera à l’eau à la fin du premier trimestre 2022, le compteur tourne donc et on sera prêt »

Les ailes Oceanwings sont-elles désormais industrialisables pour le transport maritime à grande échelle ou nécessitent-elles encore des développements ?

Nous faisons l’étude en ce moment de ces grandes ailes et nous travaillons sur plusieurs solutions techniques. Dans une solution qui serait plus classique en acier, nous avons un modèle qui existe sur ordinateur, et nous sommes proches de pouvoir les construire. Le Canopée sera à l’eau à la fin du premier trimestre 2022, le compteur tourne donc et on sera prêt, bien sûr. 

Nous regardons aussi d’autres modes de fabrication. Ce qui peut être fait à l’échelle d’un projet qui est de faire quatre ailes pour un bateau ou bien de se mettre en ligne pour faire 20 à 30 ailes par an d’ici à 5, 6 ans. Ce n’est pas tout à fait les mêmes implications industrielles ni les mêmes solutions techniques. On n’a pas de doute sur le fait qu’on va y arriver.

Pouvez-vous nous partager des informations concernant les caractéristiques de ces ailes ?

Nous pensons mettre au point deux ou trois types d’ailes. Nous les multiplierons pour des plus grands bateaux mais également sur des utilisations un peu différentes comme la pêche par exemple, en cherchant à s’adapter aux besoins des armateurs. 

Pour les grandes ailes sur lesquelles nous travaillons actuellement, elles font 363m2. Ce sont des ailes en deux volets avec une partie avant et une partie arrière. Il y a deux réglages principaux : l’incidence des ailes qui s’orientent par rapport au vent et tournent sur 360 degrés car elles ne sont pas haubanées. La partie arrière est capable de se cambrer par rapport à la partie avant ce qui donne la puissance. Entre les deux, il y a une petite fente. Le principe aérodynamique est de laisser l’air passer par cette petite fente, ce qui permet de réaccélèrer l’écoulement à l’extrado de la voile, c’est-à-dire sa partie sous le vent. Cela recolle donc l’écoulement et fournit une portance importante. C’est exactement la même chose qu’un avion au décollage ou à l’atterrissage quand il sort les volets de ses ailes, c’est le même principe. En acier, il va falloir prévoir un poids d’une trentaine de tonnes. 

Que ce soit la mise en incidence ou la cambrure, elle peut-être faite de façon électrique ou hydraulique en fonction des applications et du désir des armateurs. Cela dépend vraiment des bateaux, par exemple sur les bateaux sensibles au niveau Atex, ils préfèrent éviter l’électricité et plutôt utiliser de l’hydraulique.

Sur le revêtement des ailes, jusqu’à présent c’était une toile à voile relativement basique car il n’y a pas d’effort dessus. Mais nous cherchons aussi d’autres solutions. D’ailleurs le principal problème à résoudre vient plus de la tenue aux UVs que réellement de la résistance. La structure d’une telle aile, tout comme les systèmes, sont comparables à la durée de vie du bateau. On retrouve donc une longévité comparable à celle d’une grue sur ces composants. 
En revanche, la chose qu’il va falloir changer de temps en temps, c’est l’enveloppe, c’est-à-dire la toile qui entoure et donne la forme de l’aile. Et cette enveloppe là, on veut qu’elle dure cinq ans, c’est-à-dire la durée entre les grands carénages, les visites quinquennales des bateaux.


« Même si je n’ai aucun doute sur le fait que la propulsion éolienne va revenir sur les bateaux, quand il va falloir aller gratter des kilowatts, on va aller regarder le solaire, c’est certain. »

Qu’en est-il de la possibilité de revêtir ces ailes de cellules photovoltaïques ?

On regarde cela de très près. La certitude que j’ai, c’est que cela viendra. Il y a des solutions aujourd’hui, le problème c’est d’en calculer l’intérêt. Même si je n’ai aucun doute sur le fait que la propulsion éolienne va revenir sur les bateaux, quand il va falloir aller gratter des kilowatts, on va aller regarder le solaire, c’est certain. Mettre des films souples photovoltaïques sur les ailes est possible, mais ça reste fragile. Une impression organique sur les ailes est également possible techniquement, ça ne coûte pas grand chose mais ça produit relativement peu. Je n’ai cependant aucun doute sur le fait que ce sera l’étape suivante.

Par exemple sur Canopée, le navire de Zéphyr & Borée, on a un grand filet de protection car le bateau est ouvert et protégé par des bordés assez hauts. On ouvre la cale d’un filet de protection et sur ce filet de protection par contre, on va mettre des revêtements photovoltaïques souples qui vont pouvoir s’enrouler ou se plier. Il n’y aura pas de stockage d’énergie, donc ce sera au fil du soleil, mais cela devrait largement fournir l’énergie du bord, la climatisation etc.


« Ce qui nous intéresse, c’est de nous focaliser sur les moyens d’améliorer la performance, c’est-à-dire le gain d’énergie mais aussi le gain d’émission. »

Pouvez-vous nous parler des prochains projets et défis de VPLP ?

VPLP continue de se développer évidemment dans le domaine de la course et dans le domaine de la croisière, sur ses terrains traditionnels si on peut dire. 

Et puis cette nouvelle voie nous donne aussi une autre dynamique. Nous n’allons certainement pas aller nous mettre en compétition avec des architectes navals qui font des bateaux de commerce, des bateaux de service depuis des années, ni bien sûr avec les bureaux d’études de chantiers, on a pas cette culture là. En revanche, travailler avec ces gens là nous semble passionnant, nous pouvons peut-être leur apporter une petite couche des moyens hérités de la course comme l’utilisation du vent, l’utilisation des foils pour le transport maritime rapide. La puissance des calculs CFD (Computational Fluid Dynamics) est très intéressante pour regarder les interactions puissance éolienne, dérive du bateau et comprendre ce qui va se passer. Comme le bateau va avancer avec le vent, il faut que l’hélice et le moteur s’adaptent de façon à être dans la meilleure plage de rendement possible. Il faut ainsi optimiser l’impact global et ne pas perdre sur la propulsion principale ce que l’on gagne avec le vent. 

Ce qui nous intéresse, c’est de nous focaliser sur les moyens d’améliorer la performance, c’est-à-dire le gain d’énergie mais aussi le gain d’émission. Et on a envie d’y aller avec des architectes navals, avec des bureaux d’études, avec des gens qui sont dans ce monde là depuis bien plus longtemps que nous et qu’on a absolument pas envie de concurrencer, bien au contraire, nous souhaitons mettre en commun nos compétences.

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