Plastic Odyssey : tout savoir sur les déchets plastiques et la protection des océans
Entretien avec Simon Bernard, CEO & Co-fondateur de Plastic Odyssey
« le cœur du projet de Plastic Odyssey : allier le partage du savoir et l’entrepreneuriat social pour réussir à résoudre le problème du plastique dans l’océan »
Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
Bonjour, je m’appelle Simon BERNARD, j’ai 28 ans, j’ai grandi près de Concarneau en Bretagne et je suis officier de Marine Marchande de formation.
J’ai réalisé plusieurs projets axés sur l’environnement pendant mes études car c’est quelque chose qui me passionne depuis toujours. J’ai notamment pris part à des projets de recyclage de savons d’hôtels, d’études sur le captage de CO2 des navires ou encore d’optimisation de la forme des carènes des bateaux pour consommer le moins d’énergie possible.
Cela m’a donné le goût d’entreprendre et, lors de mon avant-dernière année d’étude, j’ai participé à une expédition maritime qui s’appelle Nomade des Mers avec Corentin de Chatelperron qui m’a permis de découvrir ce milieu.
J’ai passé près d’une année avec Corentin sur mon temps libre et j’ai embarqué avec lui à bord de son bateau en 2016. Je connaissais déjà pas mal le réseau de FabLab, cette mouvance des makers (le “do it yourself”, c’est-à-dire décentraliser la production et travailler sur un mode collaboratif), mais la démarche de Nomade des Mers qui ciblait les LowTech tout en étant Open Source m’a beaucoup inspirée.
Lors de l’une des expéditions où nous avons fait escale en Afrique, je me suis rendu compte de la quantité de plastique présente dans les villes. Il y avait aussi un grand nombre de personnes qui venaient nous voir pour chercher des petits jobs. En rentrant de cette expédition, je me suis dit qu’il fallait réussir à rendre accessible le recyclage pour permettre à des gens d’en vivre et d’éviter ainsi que le plastique arrive dans l’océan.
J’ai souhaité que le projet Plastic Odyssey s’inscrive dans ces valeurs-là, sensiblement à l’opposé de ce qui se fait aujourd’hui en matière de recherche et développement en général. Notre objectif est en effet de mutualiser les savoirs et les partager pour permettre de résoudre les problèmes plus rapidement et ainsi avoir une force de frappe plus importante. D’où le cœur du projet de Plastic Odyssey : allier le partage du savoir et l’entrepreneuriat social pour réussir à résoudre le problème du plastique dans l’océan.
« notre bateau est une sorte de bateau laboratoire mais avec la thématique du plastique et de sa pollution »
Quelle est l’histoire de Plastic Odyssey ?
L’idée a donc germé en 2016 à la suite de cette expédition et pendant mon projet de dernière année d’études. Je faisais mon mémoire de fin d’études avec Alexandre Dechelotte, un camarade de promotion et à la fin de l’année, il a accepté de ne pas naviguer, de me rejoindre et de lancer ce projet ensemble. Nous nous sommes donc retrouvés à deux à la fin de l’école à concrétiser ce projet et nous avons été assez rapidement rejoint par Bob Vrignaud, un ingénieur de l’ICAM qui a participé au lancement. Cela fait désormais trois ans que le projet se développe et nous sommes une dizaine dans l’équipe.
L’idée à la base est de rendre accessible des technologies à des pays émergents. Nous sommes partis du constat que le plastique de l’Océan vient majoritairement des zones qui n’ont pas les moyens de collecter et traiter les déchets. De plus, le plastique est souvent envoyé des pays riches vers les pays pauvres pour être gérés mais il n’y a en fait pas d’infrastructure de traitement des déchets à leur arrivée. Nous essayons donc de développer des petits centres de recyclage, en d’autres termes créer un circuit court de recyclage à l’échelle classique dans les pays à bas et moyen revenu. Pour développer et partager ces solutions au maximum, l’idée est d’avoir un petit bateau qui parcourt le monde. Un peu comme Energy Observer, notre bateau est une sorte de navire laboratoire mais avec la thématique du plastique et de sa pollution.
En 2018, nous avons donc commencé par un premier projet, une preuve de concept en quelques sortes. Nous avons construit un petit bateau de 6 mètres en rénovant un catamaran de course pour en faire un démonstrateur avec une machine de recyclage à bord qui permettait de faire du carburant avec le plastique. Nous avons fait un tour de France avec ce bateau pour faire connaître le projet. Les retours ont été très positifs et le bateau a été baptisé par Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition Écologique et Solidaire. Notre portée médiatique a été importante avec des articles dans le monde entier, y compris en Afrique et en Asie. Des personnes nous ont contactés aux quatre coins du monde et nous avons ainsi pu fédérer un certain nombre de partenaires techniques et de sponsors pour nous aider à développer ces machines.
Une fois cette phase de démonstration passée, notre nouveau projet a commencé en 2019 et va durer cinq ans. Les deux premières années de préparation ont déjà commencé pour transformer un bateau monocoque de 40 mètres, le Victor Hensen qui est un ancien navire de recherche océanographique. Celui-ci est en train d’être rénové et adapté pour accueillir toutes les machines de recyclage et pour devenir l’ambassadeur de la réduction de la pollution plastique à travers le monde. Nous allons donc ensuite partir pour trois ans d’expédition et parcourir les côtes d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie.
Aujourd’hui quatre sponsors principaux soutiennent ce projet : l’Occitane en Provence, Matmut, Clarins et Crédit Agricole. Cela représente la moitié du budget pour les cinq ans à venir.
« Le bateau va être un atelier du recyclage avec des machines à bord dédiées qui seront continuellement améliorées au gré des déplacements de pays en pays. »
Quelles seront les technologies utilisées à bord ?
Le bateau va être un laboratoire, un outil pour tester les machines, les améliorer. Il va y avoir à bord un atelier avec des tours, des perceuses et des postes à souder pour créer des pièces et améliorer les machines. Cet atelier va également nous permettre de tester les plastiques récupérés dans chaque ville et faire de la recherche sur ces déchets. Nous allons travailler sur toutes les étapes du recyclage depuis le tas de déchets récupérés dans la nature, jusqu’à la dernière étape qui pourrait être la pyrolyse par exemple, c’est-à-dire faire du carburant à partir du plastique faute d’avoir pu en faire autre chose. Entre ces deux étapes, il y a bien sûr le tri. Nous travaillons sur un petit spectromètre à infrarouges qui permettra de reconnaître les différents types de plastique. Aujourd’hui, cet appareil coûte très cher et l’objectif est de le développer pour quelques centaines d’euros. Cette première technologie est un très gros défi. Il est, en effet, primordial de pouvoir différencier les plastiques pour savoir comment les traiter par la suite.
Ensuite, nous travaillerons sur le recyclage mécanique, c’est-à-dire la transformation du plastique pour en faire des objets nouveaux ou des nouveaux matériaux. Le bateau va être un atelier du recyclage avec des machines à bord dédiées qui seront continuellement améliorées au gré des déplacements de pays en pays.
« Toutes les minutes, nous mettons 20 tonnes de plastique dans l’océan. Le problème est là ! La tendance actuelle est de se focaliser sur le plastique qui est en mer alors qu’il faudrait se focaliser sur le plastique qui va arriver en mer. »
Donc vous allez vous concentrez sur les plastiques trouvés à terre ?
Effectivement, le plastique ne flotte pas contrairement aux idées reçues et ce que certains médias peuvent indiquer. Il n’y a que très peu de plastiques qui flottent et nettoyer l’océan n’est pas possible. En effet, les scientifiques confirment que les plastiques coulent relativement vite dans les océans et les photos que l’on peut voir dans les médias sont très souvent des images prises le long des côtes. C’est une sorte de vue d’esprit pour sensibiliser les gens. Ce qui nous semble être le plus pertinent à ce stade n’est donc pas de faire un bateau pour nettoyer l’océan mais plutôt de traiter en amont les problèmes de gestion et de recyclage du plastique à terre avant qu’ils ne finissent dans les mers. C’est notre conviction et c’est l’approche qui aura le plus d’impact selon nous.
Le septième continent est une zone où les déchets se concentrent effectivement, mais principalement sous forme de microparticules (et donc extrêmement difficile à prélever). Il y a plus de plastique qu’ailleurs dans cette région et c’est une pollution très sérieuse. Pour donner une idée, si on ramassait l’intégralité de ce septième continent, cela représenterait la même quantité de plastique que celle qui est actuellement rejetée tous les trois jours dans l’océan. Donc même en réussissant ce nettoyage, on ne résoudrait que trois jours du rythme de pollution générée actuellement ! Le journal « Le Monde » a d’ailleurs fait un reportage à ce sujet (lien dans les références).
Toutes les minutes, près de vingt tonnes de plastique sont déversés dans l’océan. Le problème est là ! La tendance actuelle est de se focaliser sur le plastique qui est en mer alors qu’il faudrait se focaliser sur le plastique qui va arriver en mer. Finalement, le plastique qui est en mer va couler, se dégrader, il va malheureusement être assimilé par le milieu marin. Et ça va faire des dégâts, mais hélas, on ne peut pas vraiment agir. Cela causerait plus de problèmes d’essayer de pêcher ces particules dans la mesure où la vie s’est faite autour, le risque serait notamment de ramasser le plancton environnant. L’enjeu est donc d’éviter que le plastique arrive dans l’eau. Cela passe par toutes les étapes depuis la conception jusqu’à la collecte en bout de chaîne. Et c’est là que doivent être focalisés l’énergie, l’argent et le temps des initiatives environnementales…
« d’un côté il faut réduire la consommation de plastique et de l’autre il faut améliorer le recyclage. Ce n’est pas l’un ou l’autre, c’est vraiment les deux en même temps. »
Comment allez-vous faire adopter ces solutions ?
Dans un premier temps, notre bateau est ce laboratoire qui va permettre de mettre au point des solutions adaptées aux pays qui sont les plus touchés par cette pollution. Ensuite, notre mission est de les faire connaître. Ce bateau est aussi un outil de communication pour aller toucher des personnes qui vont pouvoir s’approprier ces machines et recycler du plastique. Notre petit bateau, qui est resté en France en 2018, nous en a donné la preuve puisque cette première initiative nous a permis de toucher des gens qui se trouvaient à Haïti, en Guinée et qui nous ont contactés pour mettre en place des machines chez eux et recycler du plastique. Cela résume parfaitement notre objectif : aller chercher les bonnes personnes en faisant escale dans ces pays, en faisant monter à bord des médias, des décideurs, des investisseurs, des entrepreneurs, et en partageant ces solutions pour qu’elles soient dupliquées par la suite.
Notre message est double et il ne s’adresse pas aux mêmes personnes :
- tout l’arrière du bateau sera focalisé sur le recyclage, avec des solutions pour traiter le plastique qui a déjà été produit. Il s’agit donc de “nettoyer le passé” dans les pays qui sont touchés par cette pollution.
- tout l’avant du bateau sera consacré à la réduction de la consommation de plastique et aux alternatives. La vie à bord du bateau va donc se faire sans plastique, que ce soit la cuisine ou les cabines. Nous allons pouvoir montrer des solutions pour réduire l’impact du plastique et cela va s’adresser aux industriels afin d’éviter cette production de plastique.
Ce sont deux actions à mener ensemble : d’un côté, il faut réduire la consommation de plastique et de l’autre, il faut améliorer le recyclage. Ce n’est pas l’un ou l’autre, c’est vraiment les deux en même temps.
Grâce à ces deux actions en parallèle, on peut vraiment réduire significativement la quantité de déchets mal gérés et ainsi la quantité de déchets qui arrivent dans les océans. Il ne s’agit pas de faire la promotion du recyclage et montrer des solutions miracles mais de montrer les limites du recyclage et surtout faire comprendre que l’action long terme, c’est vraiment de réduire la consommation de plastique. Ce discours n’est pas forcément encore pertinent partout et c’est pour cela que nous travaillons sur toutes les solutions.
Comment fonctionne la pyrolyse et quels sont ses enjeux ?
La pyrolyse permet de faire du carburant sans extraire du pétrole.
D’un côté le pétrole est extrait, puis transporté et raffiné pour aller alimenter par exemple des groupes électrogènes en Afrique, des bateaux de pêche ou des voitures. De l’autre côté, on brûle le plastique qui a été extrait à l’air libre.
Eviter d’extraire du pétrole et de brûler du plastique devrait permettre de réduire significativement les émissions de CO2. L’utilisation du carburant issu de la pyrolyse va certes émettre du CO2 : ce n’est donc pas le carburant d’avenir qui remplacera le diesel, mais dans une période de transition où nous disposons d’une réserve de plastique dans la nature qui n’a été ni recyclé ni enfoui, il s’agit ici d’un vrai levier pour éviter une pollution. Le bilan global montre en effet que cela permet d’éviter énormément de rejet de CO2.
Ce n’est pas une solution miracle, c’est une solution palliative en attendant de trouver des énergies et des moyens de produire différemment les emballages couramment utiliser.
La machine consomme environ 10 à 15 % de l’énergie produite pour fonctionner. Elle est donc autonome en énergie, pas besoin de la brancher à du courant pour traiter le plastique. Ce sont des solutions qui ont l’avantage d’être bien adaptées à des endroits où il n’y a pas d’accès à l’énergie. Nous avons notamment mené des études comparatives à Haïti sur les solutions de recyclage par rapport à la pyrolyse. A tous niveaux la pyrolyse est meilleure d’un point de vue environnemental, que ce soit sur la consommation d’eau ou la pollution. Le recyclage consomme malheureusement beaucoup d’énergie et il est très souvent préférable de plutôt essayer d’en récupérer comme peut le faire la pyrolyse.
Qu’avez-vous prévu pour la propulsion de votre navire ?
Nous allons faire des tests pour faire la démonstration des carburants pyrolyses. Mais nous n’allons pas pouvoir l’alimenter intégralement de la production de pyrolyse. Il faudrait en fait ne faire que cela pendant nos escales ce qui n’est pas notre seul objectif. De plus, cela n’est pas autorisé pour le moment par les assurances étant donné notre classification de navire de commerce. Nous aimerions aussi ajouter une voile pour la propulsion et nous réfléchissons à ce qui peut être fait pour réduire la consommation de carburant. Dans tous les cas, nous avons prévu d’être sur une vitesse de croisière d’environ cinq nœuds, ce qui nous permettra d’avoir une consommation très limitée.
« Des solutions pourront ainsi être développées au-delà de la technique, en incluant l’humain »
Un autre point clé pour la réussite de votre projet que vous aimeriez nous faire partager ?
Une autre chose sur laquelle nous travaillons beaucoup, et qui n’est pas évidente pour tous, est d’intégrer l’utilisateur dans la conception de nos solutions techniques. Notre objectif est d’avoir des solutions qui soient assez techniques pour fonctionner mais également suffisamment fonctionnelles pour que les gens puissent s’en servir correctement et l’adopter rapidement. Il faut donc également travailler avec les utilisateurs, comprendre leurs cultures et les besoins différents qu’ils peuvent avoir. C’est un enjeu important sur lequel nous avons d’ailleurs commencé à travailler avec des anthropologues. Nous allons continuer de le faire en embarquant ces experts sur le bateau au côté des ingénieurs. Des solutions pourront ainsi être développées au-delà de la technique, en incluant l’humain, afin d’éviter toutes dérives sur l’utilisation de ces technologies.
Parfois, nous pouvons être tentés de pousser des technologies pour faire des économies d’énergie et réduire la pollution, mais l’utilisateur va trop l’utiliser et l’effet inverse peut se produire. Nous ne voulons pas faire l’erreur classique de l’Européen qui va envoyer des technologies en Afrique. Notre démarche cherche au contraire à « codévelopper » des solutions. Notre plus gros défi sera d’utiliser notre bateau comme un laboratoire pour aller mettre au point des solutions avec les communautés locales et avec les utilisateurs dans chaque pays.
Les références de cet interview
- https://plasticodyssey.org/ – Le site officiel de Plastic Odyssey
- Reportage de Le Monde – Contaminations : nous avons navigué sur “l’océan de plastique”
- Conférence Maddyness – Le Grand Bleu // Simon Bernard – CEO et co-fondateur @ Plastic Odyssey Expedition